mardi, septembre 14, 2010

Les Francophones n'accepteront pas n'importe quoi pour sauver la Belgique

"Les Francophones n'accepteront pas n'importe quoi pour sauver la Belgique"


Coulisses de Bruxelles, UE de Jean Quatremer
Rédigé le vendredi 10 septembre 2010 à 20:56



Vincent de Coorebyter est l’un des plus fins politologue belge.
Directeur du Centre de recherche et 20100721 Belgique 10 d’information socio-politique (CRISP), il analyse ici la crise belge.

La Belgique est-elle entrée dans une ultime crise ?

Il est normal qu’on ait cette impression de l’extérieur après l’échec du socialiste francophone, Elio Di Rupo, le pré-formateur. Cet échec est d’autant plus frappant qu’il fait suite à toute une série d’échecs qui ont conclu des négociations institutionnelles menées entre 2007 et 2010. Les déclarations de certains responsables politiques francophones affirmant qu’il faut se préparer « mentalement et culturellement » à la fin de la Belgique ont aussi nourri le sentiment qu’on est dans une situation très périlleuse.

Mais il faut relativiser ces déclarations, car elles émanent toutes d’un même parti : de manière sans doute concertée, les socialistes ont voulu faire passer le message qu’ils sont prêts à reprendre les discussions mais qu’ils n’accepteront pas n’importe quoi pour sauver la Belgique, qu’il existe des lignes rouges à ne pas franchir. Sur le fond, je ne crois pas que les socialistes francophones ont décidé de travailler à la fin de la Belgique. Il est d’ailleurs frappant que personne n’ait profité de ces déclarations pour se ruer dans ce qui pourrait apparaître comme une brèche, une ouverture ou la levée d’un tabou. Même la N-VA, le parti indépendantiste flamand, dont on sait qu’elle veut à terme la disparition de la Belgique, a accueilli ces déclarations avec scepticisme, convaincue qu’elles étaient purement tactiques.

Reste que les deux principaux partis flamands, la N-VA et les chrétiens-démocrates du CD&V, officiellement « confédéralistes », ne pleureraient pas la disparition de la Belgique.

Il faut distinguer. La N-VA est certes indépendantiste, mais elle affirme que l’éclatement de la Belgique sera le résultat d’un processus qui n’est pas arrivé à terme. On n’a aujourd’hui aucune preuve que la N-VA soit résolue à accélérer ce processus, même si beaucoup d’observateurs estiment que le refus, par la N-VA, de tout compromis est en réalité une façon de précipiter l’éclatement. Il faut bien voir que proclamer unilatéralement l’indépendance de la Flandre, c’est prendre un risque majeur quant aux conséquences : ce nouveau pays serait-il reconnu par l’Union européenne ? Que devient Bruxelles, que les nationalistes flamands n’ont toujours pas l’intention d’abandonner ? Quant au CD&V, qui est le second parti de Flandre, il s’est certes rangé aux côtés de la N-VA dans son refus du compromis proposé par Di Rupo, mais il ne souhaite pas l’éclatement du Royaume. Certes, l’attachement de la plupart des responsables de ce parti à la Belgique est de stricte raison : de leur point de vue, le cadre belge rapporte pour l’instant plus qu’il ne coûte. Le CD&V exige simplement une réforme de l’État très profonde.

La réforme de l’État, cela signifie quand même un détricotage supplémentaire de l’État fédéral au profit des régions.

Le CD&V souhaite effectivement que l’essentiel des pouvoirs soit exercé par les régions, l’État fédéral, lui, ne conservant qu’un nombre limité de compétences, celles-ci étant même soumises à un droit de regard des entités fédérées. C’est parce que les négociations menées par Di Rupo ont mis sur la table des éléments de son programme que le CD&V s’est aligné sur les positions dures de la N-VA au risque d’apparaître comme son satellite. Mais la négociation actuelle ne porte pas sur le séparatisme, d’où le soutien du CD&V à la N-VA.

Les Francophones donnent l’impression de jouer uniquement en défense et de ne pas avoir de projet clair.

Ils ont une idée claire de ce dont ils ne veulent pas, ce qui est déjà quelque chose. Mais il est exact qu’il n’y a pas un projet commun sur ce que devrait être le cadre idéal de l’État belge, ce qui les déforce dans la négociation. Cela étant, il faut se garder d’une vision binaire de ce qui se passe : il n’y a pas d’un côté les Flamands qui demandent et les Francophones qui résistent. Il y a aussi une demande francophone en faveur d’une plus grande autonomie des régions.

Les Francophones n’ont-ils pas intérêt à obliger les Flamands à choisir dès maintenant entre le maintien de la Belgique et l’indépendance ?
Certains observateurs poussent à cette grande explication finale afin que l’on arrête d’enchaîner des réformes partielles et ambigües, sans cesse remises sur le métier. Mais personne ne sait ce que serait le résultat d’une telle discussion et c’est sans doute pourquoi elle n’a pas lieu. Il est ainsi frappant que les partis flamands n’exigent pas la mise en œuvre de l’article 35 de la Constitution qui prévoit que toutes les compétences vont aux régions et aux communautés linguistiques sauf celles qu’une loi attribue au niveau fédéral. Pourquoi ? Parce qu’ils savent qu’il sera très difficile de s’accorder sur cette liste. Les partis flamands préfèrent donc grignoter, réforme après réforme, davantage d’autonomie pour la Flandre et, pour les indépendantistes, attendre que la situation ait suffisamment évolué pour que la Belgique tombe comme un fruit mûr.

N.B.: version longue d'une interview parue ce matin dans Libération papier

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