mardi, août 24, 2010

L’alliance du goupillon et du coffre-fort

L’alliance du goupillon et du coffre-fort

Abbé Gustave Stoop, ancien vice-président de Caritas catholica

Mis en ligne le 24/08/2010 lalibre.be

Certains dans l’Eglise défendent bec et ongles l’économie néolibérale. L’argent est au centre de trop nombreuses affaires alors qu’il devrait s’en tenir éloigné.

A quelques semaines de la visite papale à Londres, l’alliance du goupillon et du coffre-fort est plus que jamais d’actualité.

L’Eglise a perdu son âme depuis que l’empereur Constantin a fait du christianisme une religion d’Etat, en contradiction flagrante avec la parole du Christ fustigeant l’argent, telle que la rapporte, dans son Evangile, Matthieu : "Aucun homme ne peut servir deux maîtres. Car toujours il haïra l’un et aimera l’autre. On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon" (Matthieu 6, 24).

"Deux mille ans plus tard, assis sur le trône de Pierre, Benoît XVI célèbre le ralliement de l’Eglise catholique à l’économie de marché " C’est en substance ce que souligne l’économiste Serge Latouche dans un "décryptage de l’encyclique "Caritas in veritate" publié dans "Le Monde diplomatique" du mois d’août 2010(1).

Le pape, qui s’exprime selon sa conscience dans cette encyclique, prétend que "la mondialisation apparaît comme une bonne chose, de même que le libre-échange".

Avec une telle opinion, le Saint-Père "est [plus] proche des positions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI)" que du message de l’Evangile(2).

Plus catholique que le pape, l’ancien directeur du FMI, Michel Camdessus, qui fut le "conseilleur" de Jean-PaulII, perçoit même "dans la globalisation" "l’avènement d’un monde unifié et plus fraternel" et va jusqu’à affirmer, avec d’autres auteurs, que "la mondialisation est une forme laïcisée de christianisation du monde."

Selon cette encyclique qui se prétend caritative, "la globalisation" serait "le principal moteur pour sortir du sous-développement". Aussi fait-elle également l’apologie de la "délocalisation heureuse".

Au terme d’un tel panégyrique, inutile d’y chercher la moindre critique du système : "Ni le capitalisme, ni le profit, ni la mondialisation, ni l’exploitation de la nature, ni les exportations de capitaux, ni la finance, ni bien sûr la croissance et le développement n’y sont condamnés en eux-mêmes : leurs "débordements" seuls sont coupables."

"Au final, la condamnation des injustices et de l’immoralité de l’économie mondiale actuelle va [curieusement] moins loin que celle du G20 de Londres" et des présidents français et américain.

Illustration concrète des idées défendues dans cette "ode papale à la "bonne" économie", ne devrions-nous pas nous interroger, entre autres, sur le commerce des canonisations qui a remplacé le trafic des indulgences et qui constitue un bien meilleur placement financier que bon nombre d’actions boursières ?

Certains dans l’Eglise défendent bec et ongles l’économie néolibérale, à telle enseigne que, comme Judas a vendu Jésus pour 30 deniers, Benoît XVI se laisse vendre 30 euros la place pour célébrer des messes payantes, dans le cadre de sa visite en tant que chef d’Etat au Royaume-Uni, auxquelles ne pourra, bien sûr, assister qu’un public VIP argenté(3).

Les questions d’argent sont également au centre de toutes les affaires de pédophilie qui salissent l’Eglise tant en Belgique qu’un peu partout dans le monde. Chez nous, l’ex-évêque de Bruges, Monseigneur Vangheluwe, pour ne citer que lui, est soupçonné d’avoir acheté le silence de sa victime.

Bref, l’alliance du goupillon et du coffre-fort est plus que jamais d’actualité.

Une image valant bien un mot, les lecteurs pressés sont invités à se référer à la caricature édifiante, signée Johan, dans "Le Soir"(4). S’ils le souhaitent, les autres pourront se reporter au dernier ouvrage de Jacques Vermeylen où l’auteur propose notamment d’"abandonner les titres honorifiques, les signes de richesse ou de puissance et les éléments folkloriques qui obscurcissent la mission de l’Eglise" (5).

Pour ma part, je fais mien le serment si souvent évoqué d’Henri Guillemin : "En dépit de tout, je reste et resterai membre de la communauté catholique. Pourquoi ? [ ] Parce que si "le message, parfois, se voile la face en traversant le messager", il existe, il demeure, ce message, toujours présent, toujours crédible. Parce que, trahissant et retrahissant la Parole qu’elle avait mission de répandre, l’Institution, en même temps, conservait intacte cette Parole qui la condamnait." (6)

(1) Sauf mention contraire, toutes les citations qui suivent sont tirées de cet article.

(2) Or, comme l’écrit avec une grande liberté Paul Tihon dans son dernier ouvrage, "c’est l’Evangile qui est important". (Paul Tihon, "Pour libérer l’Evangile", Les éditions du Cerf, Paris, 2009, p. 9)

(3) Le comportement des dignitaires de l’Eglise actualise la célèbre diatribe de Victor Hugo contre les cléricaux : "Je ne vous confonds pas avec l’Eglise. Vous êtes les parasites de l’Eglise. Vous êtes la maladie de l’Eglise. Ne l’appelez pas votre mère pour faire d’elle votre servante. Vous vous faites si peu aimer que vous finirez par la faire haïr." (Extrait du discours prononcé par Victor Hugo à l’Assemblée, le 15 janvier 1850, cité par Henri Guillemin, "L’affaire Jésus", Editions du Seuil, Paris, 1982, p. 72). Citation que j’ai faite mienne pour ne pas sombrer dans le doute.

(4) "Le Soir" du 9 août 2010.

(5) Jacques Vermeylen, "Le Marché, le Temple et l’Evangile", Les éditions du Cerf, Paris, 2010, p. 221.

(6) Henri Guillemin, op. cit., pp. 134-135.

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