mardi, février 12, 2013

Le pèze perdu de l'Union

Le pèze perdu de l'Union

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jean Quatremer  les coulisses de bruxelles  20130213

 

20130208 Sommet 23Les ambitions européennes ont été passées à la paille de fer par le couple David Cameron-Angela Merkel, sous l’œil impuissant de François Hollande, durant le sommet consacré au budget européen, qui a eu lieu jeudi et vendredi (nuit comprise) à Bruxelles. Le président français avait pourtant promis, mardi, devant le Parlement européen, qu’il s’opposerait à ce que le«cadre financier» de l’UE pour la période 2014-2020 soit trop réduit : pas question, après «le Pacte de croissance» obtenu en juin, de «faire ensuite un pacte de déflation». Une ambition douchée à l’issue du sommet : alors que la Commission proposait un budget sur sept ans de 1 033 milliards d’euros, soit 1,08 % du PIB communautaire (soit déjà en dessous des dépenses de la période 2007-2013), les Vingt-Sept l’ont ramené à 960 milliards. Soit une seconde baisse consécutive du budget depuis 2000, alors que l’Union va compter 28 États membres avec l’adhésion de la Croatie en juillet. Cette fois, on passe de 1,12 % à 1 % tout juste... Conséquence : le budget 2014 sera inférieur de 13 milliards d’euros à celui de 2013.

Principales victimes : les dépenses d’investissement et de croissance et les nouvelles politiques de l’UE (immigration, politique étrangère), la France ayant bataillé pour préserver la politique agricole commune (PAC) et les aides aux régions les plus pauvres. Alors que la crise de la zone euro a montré que l’UE souffrait de l’insuffisance des transferts entre riches et pauvres, les Vingt-Sept ont signifié que les égoïsmes nationaux restaient les plus forts. «Ce budget boite, car il n’est pas en concordance avec le traité disant que l’UE doit disposer des moyens de financer ses politiques » a taclé Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois. Et le Parlement européen a immédiatement fait savoir qu’il s’y opposerait. Passage en revue des principaux acteurs de ce bras de fer politico-financier.

 


David Cameron, le triomphant

C’est le vainqueur par KO. Le Premier ministre britannique avait fixé sa ligne rouge : 885 milliards d’euros de crédits de paiement (l’argent effectivement décaissé) pour la période. Un chiffre obtenu en multipliant par sept le budget de l’année 2011, les paiements ayant été moins importants que les années précédentes. C’est la première fois qu’un État raisonne en termes de crédits de paiement, seuls les engagements étant réellement importants puisque, comme le prévoit l’article 323 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les États ont l’obligation d’assumer leurs engagements. Mais cela permettait à Cameron d’afficher sa fermeté (et est sans doute annonciateur de futures batailles judiciaires).

Dès son arrivée, il avait averti : «Les chiffres doivent redescendre, et si ce n’est pas le cas, il n’y aura pas d’accord.» Pour le leader tory, le dernier compromis ébauché par Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, était encore trop haut. De 943 milliards en crédits de paiements proposés par la Commission, le curseur fut donc ramené à 913 milliards d’euros (soit 960 milliards en crédit d’engagement). Toujours trop pour Cameron. «Il ne voulait pas d’un chiffre commençant par 9», raconte un diplomate. Finalement, au bout de trente heures d’âpres marchandages, les Vingt-Sept ont topé à 908,4 milliards en crédit de paiement, le niveau des engagements n’ayant pas bougé. Cameron est apparu triomphant face à la presse : le fameux chèque obtenu par Thatcher en 1984 n’a pas été touché alors qu’il «était attaqué de tous les côtés». Et la France n’est pas parvenue à l’isoler. «Les Pays-Bas, la Suède, la Finlande et Angela étaient à mes côtés», s’est-il rengorgé.

20130207 Sommet 35François Hollande, le vaincu

La France espérait isoler la Grande-Bretagne dans son refus d’un budget ambitieux. Elle n’y est pas parvenue, Berlin ayant refusé de se prêter au jeu : alors que Paris espérait que son partenaire tiendrait la ligne des 913 milliards de crédits de paiement, la Chancelière a accepté de descendre jusqu’à 905 milliards sous l’œil consterné du chef de l’État. Car Merkel a toujours été sur les positions britanniques, en dépit de ses appels à davantage d’intégration. Ce n’est pas une réelle surprise : tout comme la France de Nicolas Sarkozy (et de Jacques Chirac avant lui), l’Allemagne milite pour une diminution de sa contribution au budget. Il faut reconnaître que la position de François Hollande n’était pas simple, car il est arrivé très tard dans une négociation qui a, en réalité, débutée en 2010. Il a dû manœuvrer en douceur pour modifier la ligne de la France, et se rapprocher des pays qui voulaient un budget ambitieux, sans pour autant se couper de l’Allemagne. Mais, Merkel a finalement dévalé sa pente naturelle… Hollande s’est donc retrouvé bien seul.

Il a raconté dans le détail les négociations de marchand de tapis pour montrer que ce n’est pas lui qui a dû en rabattre le plus : « je voulais une enveloppe de crédit de paiement de 930 milliards alors que la Grande-Bretagne ne voulait pas dépasser 885 milliards. Au final on a conclu sur 908,4 milliards. C’est donc moins 21,6 milliards de moins par rapport à la fourchette haute de ma demande. En revanche, c’est 23 milliards de plus que ce que demandait David Cameron. Chacun a fait sa part de chemin. À un moment, on en était à 913 milliards, la Grande-Bretagne ne voulait pas dépasser 900 milliards. J’ai diminué de 8 milliards, elle a accepté d’augmenter de 8 milliards »… Bref, à l’entendre, c’est Cameron qui est le grand perdant. Mais si on compare le budget final à la proposition de la Commission et non pas aux demandes excessives des Britanniques, on voit qui est le grand gagnant.

«Le problème de l’Europe, c’est qu’on n’est pas seul, a-t-il ironisé. Donc ce n’est pas l’accord que je voulais.» Mais, a-t-il relativisé, cela aurait pu être pire : certes, les propositions de la Commission ont été revues à la baisse, mais certaines dépenses nouvelles voient le jour, comme un fonds de 6 milliards pour les jeunes chômeurs. Et le financement des infrastructures progresse de 50 % par rapport à la période précédente. Le président français a regretté le maintien des rabais accordés aux pays les plus riches (le Danemark a même gagné son propre chèque !), et qu’aucune «ressource propre» nouvelle n’ait vu le jour. Autrement dit, le budget continuera à dépendre du financement des États, et non d’impôts européens (comme la taxe sur les transactions financières). Bref, le budget européen garde tous ses défauts.

Certes, Hollande aurait pu poser son veto à ce budget. « Les pays de la cohésion (les plus pauvres, NDA) m’ont demandé de ne pas le faire, car ils voulaient un budget sur plusieurs années pour programmer leurs dépenses », s’est-il justifié. Un bras de fer politique n’aurait pourtant pas nui aux pays pauvres, au contraire : au pire, le budget 2013 aurait été reconduit à l’identique année après année, ce qui aurait coûté plus cher à Londres. Surtout, la France aurait été gagnante, puisque la plupart des rabais seraient tombés (notamment celui de l’Allemagne), ce qui aurait diminué la contribution hexagonale.

Angela Merkel, la comptable

La chancelière allemande repart, tout comme David Cameron, la tête haute. À quelques mois des élections législatives outre-Rhin, elle pourra se vanter d’avoir obtenu une limitation des dépenses européennes. Cela étant, Angela Merkel a une nouvelle fois montré qu’il y avait loin de la coupe de ses engagements fédéralistes aux lèvres de son portefeuille. Pour elle, l’Europe doit coûter le moins possible, celle-ci devant se limiter à jouer le rôle d’un père Fouettard contraignant les États à respecter leurs engagements. Cette négociation budgétaire fait donc sérieusement douter de la volonté allemande d’aller vers plus d’intégration comme elle le clame sur tous les tons.

20130208 Sommet 39Mario Monti et Mariano Rajoy, les affaiblis

Plombés par leurs problèmes domestiques, l’un pour cause d’élections, l’autre de scandale de corruption, les Premiers ministres italien et espagnol n’ont pas pu aider la France face à l’axe germano-britannique. Mario Monti s’est contenté d’un éclat au milieu de la nuit : «On ne peut pas accepter la logique d’un État dont nous ne savons pas s’il sera encore membre de l’UE en 2017.»Allusion à la promesse de David Cameron d’organiser un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union. Un éclat resté sans suite, sinon un cadeau supplémentaire d’un milliard d’euros pour la péninsule…

José Manuel Durao Barroso, le néant

Après avoir présenté un projet de budget déjà particulièrement timoré, puisqu’en recul par rapport à la période précédente, le président de la Commission a disparu de la négociation. « C’était incroyable, il acceptait tout », raconte un négociateur. Ainsi, alors qu’à la fin du sommet, François Hollande négociait un « maximum de flexibilité » afin de faire glisser les crédits non utilisés d’une année sur l’autre et d’une rubrique à l’autre (de la PAC vers l’éducation, par exemple), ce qui est extrêmement difficile aujourd’hui, et ce, afin de dépenser effectivement tout l’argent européen, Londres et Berlin s’y sont opposés. « Je ferai avec ce que vous me donnerez », a alors capitulé Barroso. Hollande a dû alors menacer de poser son veto pour finalement obtenir cette flexibilité. À aucun moment Barroso n’a menacé de démissionner alors que son projet était taillé en pièces par le club des radins, un geste qui lui aurait permis d'entrer dans l'histoire… Le comble est qu’à l’issue du Conseil, il a remercié les Vingt-sept, ne prenant même pas ses distances avec ce budget bas de gamme.

Herman Van Rompuy, le collaborateur zélé

N’importe quel compromis pourvu qu’il y ait un compromis. Tel pourrait être la devise du président du Conseil européen. Loin d’être le leader des Vingt-sept, comme l’avait espéré le créateur de cette fonction, Valéry Giscard d’Estaing, il se comporte en simple secrétaire général cherchant à tout prix à obtenir un accord même au prix des ambitions européennes qu’il a renoncé à porter. Soucieux de ne pas perdre la Grande-Bretagne en chemin, il a été son allié objectif tout au long de la négociation.

20130207 Sommet 47Martin Schulz, le résistant

L’accord péniblement arraché vendredi est peut-être mort-né. Car le président du Parlement européen, le socialiste allemand Matin Schulz, a immédiatement annoncé que l’accord serait rejeté par les eurodéputés. C’est en juillet que, pour la première fois, le Parlement pourra exercer son droit de veto sur le budget pluriannuel de l’UE, en vertu du traité de Lisbonne (une résolution indicative sera votée en mars). Face aux égoïsmes nationaux, l’hémicycle européen se présente comme ultime rempart de l’intérêt général européen. Dans un communiqué commun, les leaders des quatre groupes politiques PPE (conservateurs), PSE (socialistes), ALDE (libéraux) et Verts ont donc annoncé leur rejet de ce budget d’austérité.

Oseront-ils aller jusque-là ? « Si on ne le fait pas, on n’a plus qu’à glisser la clef sous la porte », a jugé Verhofstadt. Mais voilà, les élections européennes sont dans un an et les gouvernements vont menacer leurs eurodéputés de ne pas les reconduire sur les listes s’ils ne votent pas le budget qu’ils ont négocié. C’est tout le drame de l’europarlement qui dépend des partis nationaux et non des partis européens. D’où le souhait du PPE d’obtenir un vote à bulletins secrets, ce que ne souhaitent ni les libéraux, ni les Verts.

Pour essayer de faire passer la pilule, les États vont faire miroiter au Parlement la flexibilité qui leur permettra de réaffecter une partie des crédits aux projets porteurs de croissance. Comme l’a expliqué François Hollande, en dépensant mieux, on peut dépenser davantage que pendant la période 2007-2013 où des dizaines de milliards d’euros sont retournés dans les budgets nationaux faute d’avoir pu être dépensés. Les Vingt-sept pourraient aussi lâcher quelques milliards supplémentaires comme ils l’ont fait en 2006. Ce qui pourrait suffire à emporter un vote positif.


Comparaison des dépenses entre le projet de la Commission et le cadre financier adopté par le Conseil européen effectué par Euractiv.

N.B.: version longue et révisée de mon article paru dans Libération de samedi et cosigné avec Nathalie Dubois

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