jeudi, septembre 22, 2011

Les agences de notation complices des spéculateurs?

Les agences de notation complices des spéculateurs? - Coulisses de Bruxelles, UE
Les agences de notation complices des spéculateurs?

di Jean Quatremaire  liberation.fr/coulisses    mercredi 20110921


 La dégradation d’un cran de la note italienne, lundi, par l’agence Standard & Poor’s, de A+ à A, rappelle étrangement le scénario qui a entrainé la Grèce dans l’abîme. Il faut se rappeler qu’en décembre 2009, la note hellène était encore notée presque au même niveau que la dette italienne, A- (mais oui, mais oui). Le 1er mai, après moult hésitations allemandes en très grande partie responsable de l’aggravation de la crise, les marchés se rendant compte qu’un pays en difficulté ne serait pas automatiquement aidé, la zone euro décide enfin de voler au secours de la Grèce. Le 10 mai suivant, au lendemain de la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF), la Banque centrale européenne (BCE), devant l’ampleur des mouvements de marchés que rien ne semblait devoir calmer, décide d’intervenir sur le marché secondaire, celui de la revente, et d’acheter des obligations grecques à tour de bras. L’action conjointe des États et de la BCE a été immédiatement couronnée de succès : les taux d’intérêt grecs ont diminué, tout comme les rendements des CDS (« credit default swap », assurance contre le non-remboursement d’une obligation).

Mais c’était sans compter avec les agences de notation. Elles ont alimenté la défiance des marchés en dégradant à plusieurs reprises la note grecque entre décembre 2009 et avril 2010. On aurait pu croire qu’une fois la Grèce secourue par ses partenaires, elles marquent une pause. Que nenni, bien au contraire. Ainsi, Moody’s a dégradé de 4 crans (!) la note grecque le 14 juin, de A3 à Ba1, un mois après l’adoption du plan européen, projetant les obligations hellènes en catégorie spéculative. Cette dégradation a eu un effet immédiat : en effet, dès qu’une dette quitte la rive des investissements sûrs (A), les banques, les fonds de pension ou les assurances doivent les vendre, alimentant ainsi la chute de leur valeur et donc l’augmentation des taux d’intérêt exigés, ce qui entraine une nouvelle dégradation par les agences et donc de nouvelles ventes… En effet, les réglementations internationales (Bâle pour les banques, Solvency pour les assurances) obligent ces organismes à posséder des fonds propres d’une certaine qualité, qualité déterminée par les notes des agences (il faut au minimum deux dégradations pour être obligé de vendre). Désormais, et en dépit de l’adoption d’un second plan de sauvetage le 21 juillet dernier, la Grèce est quasiment notée en défaut, ce qui lui interdira pour longtemps l’accès aux marchés.

RTR2PK60_Comp La séquence italienne ressemble furieusement à ce qui s’est passé pour la Grèce : les agences ont mis l’Italie sous « surveillance négative » au printemps. Les marchés attaquent aussitôt la dette italienne subodorant la bonne affaire. La BCE décide donc, début août, de la soutenir en la rachetant sur le marché secondaire. Les spéculateurs, qui jouaient à la baisse, boivent la tasse. Mais une agence décide néanmoins, pour des raisons de pure opportunité politique (S&P n’a pas confiance en Berlusconi alors que l’Italie a un déficit primaire excédentaire et qu’elle rentrera dans les clous du pacte de stabilité dès l’année prochaine), de dégrader les obligations italiennes, ce qui suscite de nouvelles attaques. Ne doutons pas une seconde que les deux autres grandes agences (Moody’s et Fitch) suivront, ce qui entraînera des ordres de vente et donc une augmentation des taux d’intérêt. Un mouvement qui va étouffer chaque fois un peu plus Rome et entrainer de nouvelles dégradations. On ne peut que s’étonner que les dégradations suivent ainsi quasi automatiquement la décision de la BCE d’intervenir sur le marché secondaire, ce qui annule les effets de cette intervention pour le plus grand bonheur de ceux qui parient sur une baisse de valeur des obligations italiennes.

Alors complot des agences de notations qui servent ainsi leurs maîtres principaux clients, les banques d’affaires, les Hedge Fund, etc. ? Car une prophétie autoréalisatrice fait bien évidemment les affaires de ceux qui ont parié beaucoup d’argent pour qu’elle se réalise. Laurence Parisot, la patronne du MEDEF en est persuadée. Jean Pisani-Ferry, qui dirige le think tank Bruegel, beaucoup moins : « en réalité, les agences ne font que courir après les marchés en ratifiant leurs analyses. Le fait qu’elle dégrade un pays après que la BCE soit intervenue sur le marché secondaire procède d’un constat : si elle intervient, c’est qu’il y a moins d’acheteurs et s’il y a moins d’acheteurs, c’est qu’il y a un problème sur cette dette ». De là à dire que c’est la BCE qui pousse à la dégradation, il n’y a qu’un pas que personne ne franchit.

RTR2OOM2_Comp Crier au complot ne sert de toute façon à rien, sinon à soulager ses nerfs. Le seul moyen de limiter la capacité de nuisance des agences est de leur couper les dents et les griffes en supprimant dans la législation toute référence à leurs notes. Ainsi, plus personne ne sera obligé de vendre des obligations d’État, les notes ne constituant qu’un avis parmi d’autres. La BCE a déjà commencé à s’affranchir de ces notes en acceptant en collatéral des prêts qu’elle accorde aux banques commerciales tous les papiers grecs, irlandais et portugais, même notés CCC. Aux États-Unis, le Dodd-Frank Act de juillet 2010 a été plus loin et a supprimé toute référence aux agences. Mais, en pratique, rien n’a encore changé, car il faut encore adopter toute une législation secondaire. Dans l’Union, un règlement sur les agences de notation sera proposé par la Commission en octobre ou novembre prochain qui vise aussi à supprimer toute référence aux agences.

On a conscience, à Bruxelles, que le temps presse si l’on veut éviter que le scénario grec ne se répète avec l’Italie. Car alors, la peau de la zone euro ne vaudrait pas cher. On mesure, en tous les cas, à quel point le premier mandat de José Manuel Durao Barroso (2004-2009) a été nocif : le président de la Commission a, en effet, couvert son commissaire au marché intérieur, le taliban du libéralisme Charly McCreevy, qui a refusé toute réglementation des marchés financiers. Un retard de cinq ans qui se paye très cher aujourd’hui.


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